FORMANDA PIMENTA
Pimenta, une artiste épicée
« A cette époque, la capoeira à Pernambuco était une guerre d’égo. On allait dans les rodas pour montrer ce qu’on valait pour s’affronter »
A l’occasion de l’évènement du 5 et 6 mars, Formanda Pimenta se confie sur son histoire et sa culture. L’occasion d’en savoir plus sur une capoeiriste qui a su faire de son héritage culturel son métier.
Pimenta, s’est toujours surnommée ainsi. « Petite, je débordais d’énergie, j’étais surexcitée et dans ma famille tout le monde m’appelait La Pimentée ». Mais lorsqu’elle commence la capoeira à Recife, sa ville natale au nord-est du Brésil, son professeur la surnomme «Bruxinha» ou la petite sorcière dans la langue de Molière. « J’avais toujours pleins de petites peluches que je collectionnais. Un peu comme des fétiches » se souvient Pimenta. « J’ai eu mon premier tarot à huit ans et, encore maintenant, j’adore ça » raconte-t-elle amusée.
Dès son plus jeune âge, Bruxinha est fascinée par les rythmes, les chants et les danses d’une culture afro-brésilienne très prégnante dans l’Etat de Pernambuco. « Ma famille et moi habitions à deux pas d’un temple Afoxé. J’entendais chaque jour les cérémonies et autres fêtes qui s’y produisaient ». Son Orixa, divinité du candomblé brésilien issue des croyances Yoruba, est Oxum, la déesse des eaux, de l’or et de la féminité. «Dans ma famille nous n’avons jamais été des religieux, il s’agit plus de ma culture, de ma philosophie et de la maîtrise des énergies de la nature ».
Malgré tout, la petite fille commence son éveil sportif en 1989, avec une discipline qui n’a rien à voir avec sa culture, le Taekwondo. « A Recife, les portes des académies sportives étaient toujours ouvertes. Je reproduisais les mouvements de loin et un jour on m’a convié à participer. Ma mère n’avait pas d’argent mais comme le maître a trouvé que j’avais du talent, j’ai pu continuer gratuitement ».
Quelques années plus tard, alors qu’elle entre au collège, un de ses professeurs souhaite organiser un spectacle de théâtre sur l’expression noire et la culture de la négritude. Il fait alors appel à André, un jeune danseur et capoeiriste que l’on surnomme E.T. « Mon professeur lui a demandé de monter une pièce mais à une condition : la capoeira ne devait surtout pas en faire partie » explique Pimenta « car dans mon collège, elle était interdite ». Si la capoeira fait partie intégrante de la culture afro au Brésil, elle est au début des années 80, encore très mal vue par les institutions. « A cette époque, la capoeira à Pernambuco était une guerre d’égo. On allait dans les rodas pour montrer ce qu’on valait pour s’affronter ».
Mais qu’à cela ne tienne, E.T comme tous brésiliens natifs du Nord-Est maîtrise parfaitement l’expression artistique afro brésilienne. Grâce à une multitude de danses, il monte le spectacle dans lequel Pimenta incarne la libératrice des esclaves, elle est alors âgée de onze ans. Une fois le spectacle fini, E.T lui propose à elle et à deux autres de ses camarades d’aller au-delà de la danse et d’apprendre les rouages de la célèbre lutte brésilienne. Une aubaine pour la petite sorcière qui aime les chants, la musique et la castagne. « J’ai beaucoup souffert des moqueries des autres enfants parce que j’étais grosse, que j’avais la peau très claire et des cheveux très frisés » confie-t-elle encore blessée. « J’ai dû apprendre à me défendre, je ne me laissais pas faire et j’ai fini par aimer me battre ».
Ainsi commence son apprentissage. Bruxinha devient une excellente capoeiriste. Elle semble retrouver alors, les mêmes énergies qui l’ont façonnées toute son enfance. Elle intègre aussi le « Bâlé popular do Récife » la célèbre école de danse du nord du pays. Elle se perfectionne en Frevo, Forro ou encore en Quadrilla ou en Samba.
«Je pourrais vivre sans danser mais jamais sans capoeira »
A Olinda dix ans plus tard, alors qu’elle participe à une roda, elle rencontre un groupe de touristes hongrois. « Ils étaient journalistes et travaillaient pour la télé hongroise. En même temps qu’ils réalisaient un reportage sur le carnaval, ils étaient à la recherche d’un professeur de capoeira qui puisse enseigner à Budapest » raconte Pimenta.
Et c’est le coup de cœur! Après avoir parcouru Rio de Janeiro et Salvador de Bahia sans trouver un groupe dont le jeu leur plaît, ils tentent de convaincre les capoeiristes de Olinda de les rejoindre en Hongrie. « Tu te rends compte, faire Rio et Salvador sans trouver un groupe avec un beau jeu » s’exclame-t-elle, « c’était vraiment un coup du destin » affirme Pimenta encore sous le choc. Surtout que le Groupe Capoeira Brasil dans le nord-est est encore tout petit à cette époque. Luciana et le professeur Kel arriveront en premier à Budapest, puis en août 2001, Pimenta les rejoint. «C’était l’été tout était parfait mais très vite l’hiver est arrivé et là, j’ai beaucoup pleuré » confit-elle.
A 36 ans et après quinze ans dans son pays d’adoption, Pimenta a fondé son académie. Fidèle à elle-même, elle enseigne aujourd’hui la danse et la capoeira à un public friand des cultures d’ailleurs.
Un moyen pour elle de ne pas se sentir coupée de ses racines. Mais Pimenta tient tout de même à préciser une chose : «Je pourrais vivre sans danser mais jamais sans capoeira » conclut-elle avec éloquence.
Février 2016 - Par Bossa Nova
J’ai dû apprendre à me défendre, je ne me laissais pas faire et j’ai fini par aimer me battre ».